Castro
Le jour se lève sur Castro. Sur le pas d’une porte un homme dors sous une couverture ne laissant apparaître qu’une touffe de cheveux sales et des bottes éculées. Des assiettes en cartons jonchent le sol ainsi que divers détritus, des pigeons cherchent des restes de nourriture sur le trottoir.
L’été indien a commencé, pour deux mois paraît-il. Le soleil brille, le ciel est éclatant, de ces ciels de bord de mer où la lumière est vive. Pas de montagnes pour arrêter le regard, on voit loin. Le vent nettoie l’air. Les rues sont larges, les maisons basses, le monde vous est ouvert. La journée commence.
Le drapeau multicolore flotte à Harvey Milk plaza comme partout ailleurs dans Castro. Un homme avec une muselière en cuir noire vient de passer avec son maître, plus loin un autre arbore un T-shirt sur lequel est écrit "If you don't like oral sex, close your mouth". Le port du kilt est courant, les pantalons moulants, en cuir noir, les bottes, les anneaux dans le nez. Les piercings et tatouages en tout genre et sur tout le corps sont monnaie courante. Les couples s'embrassent et se touchent en toute liberté. Pas un commerçant, pas un banquier, pas un postier qui ne soit gay.
Le quartier est sympathique et sûr. L'architecture est magnifique, petites maisons de style victorien aux couleurs multiples, en bois à deux étages.
Il y a plein de petits bistrots avec des terrasses, j'aime bien aller boire un thé chez Spike's ou au Bagdad café sur Market Street.
Question nourriture, le quartier regorge de magasins biologiques avec fruits et légumes de qualité. Les restaurants japonais sont bon marché et il y en a un délicieux en bas de chez moi. L'épicier du coin est palestinien, je lui achète des cartes de téléphone internationales et les abonnements de métro.
J'ai fait la connaissance de Tony, un vieux Monsieur Hawaiien que je vois tous les matins en allant au travail, il est contrôleur à l'entrée du métro. On bavarde un peu lorsque je rentre du travail, son fils vit à Paris et il devrait venir bientôt voir sa famille à San Francisco. De ces rencontre au détour des chemins qu'il fait bon prendre, un sourire à 7h du matin cela met de bonne humeur.
Il y a aussi le cinéma Castro, de l'autre côté de la rue, on y joue des films alternatifs, on y passe des rétrospectives. Je viens de voir Oil Factor. Le cinéma est magnifique à l'intérieur comme à l'extérieur avec ses fresques avec ses moulures.
Chacun semble porter ses soucis sans jamais les exposer. La vie n'est pourtant pas facile. Un enseignant gagne trois fois moins qu’à Genève alors que la vie est plus chère. De plus la pratique de leur métier est rendue difficile faute de moyens : imprimantes sans encre ou hors d'usage (j'ai fini par en acheter une ainsi que du papier), photocopies sont contrôlées ( il faut remplir des formulaire lorsque l’on veut imprimer quelque chose, déposer la demande et ensuite on peut récupérer ses imprimés, pour plus de 100 pages, il faut attendre entre 3 et 5 jours). Viennent ensuite les problèmes de copyright, on ne peut pas photocopier n’importe quoi. Il y a des restrictions budgétaires énormes, classes trop peuplées, mais personne se plaint.
Les enseignants écoutent les élèves, les valorisent et je n'ai encore pas été témoin de discussion négative au sujet de l’un d’entre eux. Les enseignants les encouragent et le slogan « no child left behind » semble être plus que respecté. Il faut à tout prix que chaque élève qui a souhaité retourner à l'école soit aidé au mieux, et soutenu quand bien même celui-ci se rebelle. Et là où une autre école aurait échoué et renvoyé l’élève, le collège s’efforce de lui donner encore plus d’attention.
Je suis ébahie devant la tolérance et les efforts d'intégration faits. A Laney, l'école fait de son mieux pour intégrer toutes les nationalités et toutes les ethnies, tous les handicaps physiques ainsi que toutes les différences sociales. Johnny mon élève homeless est étonnant, il continue à venir avec enthousiasme, il fait toujours des progrès. Il est entrain, comme les autres élèves de sa classe, de raconter sa vie. Cela ne va pas vite, mais c’est génial de l’accompagner et de l’entendre me dire combien il est content d’être au contact d’autres gens. L’autre jour, il m’a ramené un travail qu’il a commencé tout seul sur le thème proposé. Il avait noté son temps de travail : 4 heures ! Il a trouvé un questionnaire dans un manuel scolaire portant sur ce sujet et il a répondu aux questions afin de structurer sa présentation. Les feuilles étaient dans un état déplorable car il écrit assis par terre dans la rue, mais le contenu était touchant. A la question : quelle est la chose que vous n’aimeriez pas que les gens sachent à votre sujet, il a répondu : ma solitude. Ou encore à quoi pensez-vous quand vous n’arrivez pas à dormir : trouver un moyen pour retourner à l’école. Il y a aussi Konya, qui arrivait toujours l’air triste et renfrogné, aujourd’hui elle m’a surprise en mettant sa main dans mon dos et en me faisant un grand sourire. Tout mon équipe raconte son histoire que je vais mettre en ligne pour ceux qui sont d'accord. J’adore mon travail même si parfois j'en ressors la gorge nouée.
Le 17 septembre, il y aura une fête au collège sur le thème "recruiters out of school, US troops out of Iraq" avec des workshops présentés par les Black Panthers, les objecteurs de conscience, le centre aztèque et l'association musulmane américaine. Il est vrai que la population des écoles comme Laney sert de chair à canon en Iraq.
Lundi ce sera Labour Day, j’ai donc un weekend de trois jours devant moi. Repos, yoga et ballade du côté de Napa Valley et Marin County en perspective.
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