Sunday, November 06, 2005

Automne à San Francisco


Le week-end arrive et je trouve enfin le moment de flâner dans la ville, j’hésite à prendre mon vélo, les multiples collines me rebutent un peu. Je saute dans un taxi et file sur Fillmore street, ballade, lecture sur une terrasse. Je lis beaucoup depuis que je suis ici, les transports en communs me donnent plus le temps de le faire.
Les gens passent, s’arrêtent, discutent. Personne ne fume, quel délice de pouvoir entrer dans un café, un restaurant et de pouvoir respirer normalement, ressortir sans être imprégné de cette odeur de nicotine. Je savoure.

Fillmore street est une rue agréable, il y a des couples hétéros, des hommes et des femmes, cela me fait presque drôle. Depuis trois mois, je ne suis entourée que par des couples de gay. Toutes les pubs de mon quartier s’adressent aux hommes et j’ai parfois l’impression d’être invisible… L’autre jour, j’ai demandé un renseignement à un homme dans la rue, il a fait un pas en arrière et j’ai presque eu l’impression de l’agresser, j’ai failli éclater de rire, je l’ai sans doute surpris….C’est un sentiment étrange mais intéressant, je m’y habitue.
Depuis quelques jours, le temps change, les couleurs de l’automne apparaissent, le brouillard recommence à lécher les collines de Twin Peaks en fin de journée, les pluies ne vont pas tarder à arriver dit-on.
La vie au collège continue avec ses joies et ses découvertes, Johnny progresse. Il y a deux semaines, il a écrit quelques phrases sur une feuille et il m’a demandé s’il pouvait les dactylographier, il ne m’a pas dit de quoi il s’agissait. Je l’ai aidé à s’installer et il s’est mis au travail.
A la fin de l’heure, il m’a imprimé le document (je tiens à remarquer les progrès, imaginer qu’il pourrait, deux mois après la rentrée, taper un texte seul était impossible). Je n’ai pas lu le texte tout de suite car j’avais un cours, c’est seulement de retour à la maison que j’ai découvert le poème, superbe, touchant et bien écrit, je croyais rêver. Je l’ai fait lire à des collègues, tous étaient du même avis que moi, le texte est tout simplement magnifique.

De retour en classe, le lendemain, j’ai félicité Johnny, il était si heureux c’était touchant à voir. Il tournait comme une hélice dans la classe, les autres élèves étaient tous fiers de lui. Il avait déjà préparé un deuxième poème. Il veut maintenant écrire un recueil de poèmes.
Son souci principal est le copyright, il a peur de se les faire voler.
Dimanche, son frère a été assassiné dans la maison de sa mère, visiblement un driving by shooting. Johnny est arrivé en classe avec le journal dans lequel on voyait son frère mort. Il veut faire une annonce à la classe. Demain, un ami photographe qui a lu les récits des élèves de notre classe va venir nous voir et prendre des photos. Nous allons profiter de cela pour avoir une discussion, ce que nous n’avons pas fait jusqu’alors.
Johnny m’a demandé si je pouvais l’accompagner à Fruitvale, où vit sa mère pour la rencontrer, j’étais assez prête à tenter l’expérience avant l’incident, mais je dois dire que maintenant, je suis un peu moins sûre de moi.
Le reste de mes cours se déroulent bien, j’adore les élèves. Quel plaisir de travailler avec des gens plus âgés, motivés et avec une telle diversité culturelle. Nous n’avons pas de vacances, mais les horaires sont plus allégés qu’à Genève ce qui fait que je ne me sens pas fatiguée comme je le suis à cette période de l’année en Suisse.
Je suis allée récemment à Little Rock, AR pour une conférence de trois jours liée au programme d’échange Fulbright dont je fais partie. Six heures d’avion, huit heures de voyage, deux heures de décalage horaire, commun ici, un peu pénible pour moi. J’ai réalisé lors de ce voyage toute la chance que j’avais de vivre en Californie et à San Francisco.
Je suis arrivée à Little Rock, le dimanche après-midi, la ville, minuscule était désertique, même pas un bistrot d’ouvert dans le centre. Des clochards hantaient les abords de l’hôtel et les dessous d’une bretelle d’autoroute. D’après Angela http://www.flickr.com/photos/nat_sf_05/55661267/in/set-1252745/ , une noire américaine avec qui j’ai discuté à l’hôtel, une bonne partie des réfugiés de la Nouvelle-Orléans qui ont été rapatriés sur LR, sont toujours sans abris, sans argent, bref le désespoir et surtout pas ce que l’on voit à la télévision.
J’ai aussi discuté avec le chauffeur de taxi, Abraham, noir américain. Selon lui le nord de l’Arkansas est un endroit à éviter si l’on est noir. L’ambiance est au racisme et j’ai même vu un panneau sur lequel il était écrit Kim Kitchen Kooking…KKK, ça fait froid dans le dos, mais c’est bien réel !
La conférence a réuni les enseignants qui comme moi enseignent au niveau universitaire ou Community College. J’ai retrouvé avec plaisir des Français, Marc qui est à Kansas City et qui se lamente sur ses horaires interminables. Il commence le travail à 0630 a.m. et ne quitte pas l’école avant 18h, autant vous dire qu’il était vert quand je lui parle des miens ! Il y avait aussi Alexandra qui elle réside dans la Bible Belt, brrr heureusement que je n’y suis pas. La description de ses journées est mortelle. De plus, ils enseignent tous le Français et là aussi j’ai réalisé le bonheur que j’ai d’avoir des cours de critical thinking de vocabulaire et d’écriture en anglais car non seulement j’enrichis mes compétences en anglais, mais en plus j’ai une grande liberté pour mon programme. Les français eux sont tenu à un programme d’apprentissage de la langue française qui est plus que délirant, ils courent de leçons en leçons et les élèves ne semblent rien retenir ! Beaucoup se plaignaient de leurs élèves. Il semble que j’ai les élèves les plus géniaux de tous les Etats-Unis !
Le premier soir nous avons eu droit à un repas en compagnie des autorités en matière d’éducation dans l’Arkansas. Un haut responsable s’est vanté d’avoir licencié un maximum de gens dans le secteur administratif des écoles afin de trouver les ressources pour les élèves. Il nous a aussi expliqué la politique qu’il appliquait en matière d’emploi des maîtres. Si les élèves ne réussissent pas, les professeurs sont licenciés, « If they can’t do the job, we fire them ». Il estime qu’il faut appliquer les techniques du monde du business au monde de l’école, ce qui ne semble pas coller, ce sont les salaires qui ne sont pas du tout ceux qui sont appliqués dans le monde des affaires ! Un enseignant gagne trois fois moins que chez nous et la vie est aussi, si ce n’est plus chère qu’à Genève. Bref, plus son discours avançait plus tout le monde s’offusquait, un Finlandais lui a cloué le bec et le brave monsieur s’est éclipsé avant que l’assemblée ne lui mette le goudron et les plumes!
Nous avons visité l’université de Little Rock. Les classes n’ont pas de fenêtres et l’architecte qui a réalisé les bâtiments doit être le même qui a conçu les prisons de cet état.
Nous avons fait un tour dans le bookstore, les livres n’étaient plus les mêmes que ceux vendu à Laney community college, le livre de critical thinking que j’utilise est de gauche, les textes s’adressent à une population colorée, là c’était l’opposé.
Nous avons assisté à deux cours de français, ennuyeux à mourir. Je comprends pourquoi les américains n’ont pas le goût des langues… Ils devaient par exemple faire un exercice sans queue ni tête sur la famille au Sénégal et apprendre les termes africains de la structure familiale sénégalaise sous prétexte que le Sénégal est francophone… Je n’y comprenais rien et n’ai pas saisi le but de l’exercice.
Des discussions avec mes collègues français et étrangers, ce qui a dominé c’est l’isolement dans lequel nous sommes par rapport au milieu enseignant dans lequel nous évoluons. Je n’ai jamais été invité chez un ou une collègue à déjeuner ou à dîner. Bon cela ne me dérange pas car j’ai mes amis dans d’autres milieux et à San Francisco, mais pour certains collègues, ils semblent se morfondre de solitude… Rassurez vous ce n’est pas mon cas. Mais ce que je trouve plus grave c’est le manque de contrôle, je pourrais leur enseigner le macramé que personne ne s’en apercevrait, personne ne s’intéresse à ce que l’on fait dans l’école ce qui est dommage …je ne perds pas espoir…


Je continue le yoga avec le même enthousiasme, j’apprends de jour en jour, seul mon poignet droit semble ne pas trop apprécier les exercices, la position debout sur les mains semble la plus pénible.
Je fais de photographie. J’ai rencontré, au travers du site sur lequel j’héberge mes photos http://www.flickr.com/photos/nat_sf_05/ , un photographe de Monterey, Carlos Camacho, qui m’a poussé à acheter un bon appareil reflex numérique ce qui fait qu’il ne se passe un jour sans que je fasse des photos. J’adore, je découvre et saisis tous les instants de cette expérience inoubliable.
Un journal online de San Francisco m’a aussi demandé d’illustrer un article avec des photos que j’avais réalisées à Decompression http://www.nowpublic.com/node/20654 (pour en savoir plus sur Decompression et burning man consultez le lien sur Burning Man )

Aujourd’hui, Carlos, le photographe que j’ai rencontré à travers Flickr est venu de Monterey pour rencontrer ma classe. Les élèves étaient très excités à l’idée de sa venue car c’est quelqu’un de l’extérieur qui s’est déplacé pour les rencontrer. Nous avons eu une discussion, j’ai remercié les élèves pour leurs efforts d’intégration envers Johnny, pour leur assiduité et ils ont pu exprimer leur intérêt pour le travail que nous réalisons. Johnny a pris la parole avec beaucoup d’émotion pour dire à la classe combien elle était importante pour lui, il nous a parlé de son frère qui a été assassiné dimanche dans la maison de sa mère dans une banlieue pauvre d’Oakland, c’était très émouvant. Il a lu un poème qu’il a écrit pour moi et un autre sur son travail au collège. Carlos le photographe a exprimé son intérêt pour leur travail, pour notre site et il a fait tout plein de superbes photos que vous pouvez voir sur ses deux sites :
http://www.gallerion.com/laney/
http://www.flickr.com/photos/paseodelsur/

La collaboration photo est très intéressante avec Carlos, on va sans doute faire une exposition de photos réalisées au collège. J’envisage prendre un cours de photographie au collège le semestre prochain. Il y a un cours pour préparer au métier de photographe qui a l’air assez bien. Je vais voir si ça joue avec mes horaires.
Quoi qu’il en soit n’oubliez pas d’aller voir mes photos sur mon site http://www.flickr.com/photos/nat_sf_05 et donnez- moi un feedback.

A la fin du mois, je vais accompagner un groupe de noir américains religieux qui vont chanter pour les prisonniers du death row à la prison de St Quentin, cela risque d’être une expérience intéressante, je ne pense pas que j’aurais le droit de faire des photos en prison, mais lors du trajet sans doute.

A part cela l’automne est là, les ombres plus longues, le brouillard épais est de retour aujourd’hui. San Francisco reste toute aussi magnifique, cette après-midi je suis allée me ballader sur la plage de Crissy Fields et j’ai vu un lion de mer qui nageais tout près du bord, cela me fascine que des animaux si grands puissent être là dans l’eau tout près de moi ! Le weekend passé, c’est tout un groupe de dauphins que j’ai vu nager près du bord...

Je vous laisse et me réjouis de vous lire il est 18h et il fait déjà nuit à San Francisco.